Fonds Pierre Droulers

Formé à Mudra entre 1970 et 1973, dans la première promotion de l’école fondée par Maurice Béjart à Bruxelles, puis auprès de Bob Wilson ou de Jerzy Grotowski, Pierre Droulers crée ses premières pièces dans le cadre du collectif Triangle, des œuvres improvisées au gré de ses rencontres (Hedges avec Steve Lacy, Tao avec Sheryl Sutton, Tips avec Pascale Murtin et François Hiffler, futur duo de « Grand magasin », ou encore Pieces for nothing avec le groupe musical Minimal compact). Vient ensuite, au milieu des années 80, un travail d’interprète, notamment auprès de Anne-Teresa De Keersmaeker, qui éveille son intérêt pour les questions de structure et de composition des œuvres chorégraphiques. Dès lors l’artiste ne va plus cesser de se passionner pour les processus de création, ce dont témoignent avec éclat ses archives données récemment à la médiathèque du CN D.

Autour du livre Finnegans Wake de James Joyce, il crée le diptyque Comme si on était leurs petits poucets (1991) et Jamais de l’abîme (1993), des compositions autour du texte et du thème du double matérialisées sur la feuille de travail par la figure d’un cercle qui se décompose en autant de parts que d’états ou d’actions proposés aux interprètes. Avec Mountain Fountain (1995), son œuvre devient plus abstraite, évacuant toute théâtralité même si les textes littéraires y restent très présents, et un autre élément essentiel du travail du chorégraphe apparaît : ses « rêves de matières ». Fils de peintre, Pierre Droulers est très sensible à l’ambiance de l’atelier et au travail sur la matière, et ses rencontres avec les plasticiens Michel François puis Ann Veronica Janssens vont lui permettre d’introduire pleinement cet élément dans ses œuvres. Ainsi, voisinant parfois avec des objets en laine, des bobines de fils ou d’autres matériaux, nombre d’écrits présents dans ses archives évoquent aussi bien les états liquide, solide ou gazeux (De l’air et du vent, 1996), que le jeu des couleurs (Inouï, 2004, Flowers, 2007) ou encore l’opposition entre lumière et obscurité (Soleils, 2013). Mais c’est aussi le rapport du corps à l’espace et à l’architecture qu’il travaille : dans Ma, en 2000, il confronte espace urbain et espace intérieur ; dans Inouï, en 2004, il met l’espace du lieu de vie, celui que l’on habite, en correspondance avec les différentes fonctions du corps.

Ces intentions et ces processus sont révélés de multiples façons dans les archives : par les notes prises au gré du travail, par des partitions parfois plus structurées, ou encore des documents conçus à la demande de l’artiste par des tiers observateurs. Sofie Kokaj fabrique ainsi des petits livrets qui racontent par touches le travail en cours sur Multum in parvo (1998), puis, avec Hans Teys, d’autres livrets sur la conception de Ma (2000). Des vidéastes documentent aussi les processus : Sima Khatami (Flowers), Ludovica Riccardi (Inouï), Philippe Van Cutsem (Multum in parvo). Les films des deux premiers deviendront à leur tour un ingrédient du chorégraphe qui les projettera sur scène dans Two night ping-pong (2009), une pièce présentée comme un mode d’emploi de son univers.

C’est finalement ses archives mêmes que Pierre Droulers utilise comme matériau de travail en concevant en 2017 l’exposition Dimanche et le livre Sunday qui mettent en scène et en pages, à partir des traces qui lui en restent, l’écheveau des influences artistiques, des rencontres humaines, des travaux personnels et collectifs qui dessine – pour reprendre l’expression donnée comme consigne aux interprètes de Ma – une forme de « mythologie personnelle » du chorégraphe.