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Session #2

Rites, seuils,
révélations

© Boricatánc – elöl a „kuka” faálarcban (Pürkerec, v. Brassó m., 1963)
© Boricatánc – elöl a „kuka” faálarcban (Pürkerec, v. Brassó m., 1963)

01.10.21 — 10:00

CN D Pantin

10:00 — 2h.
Des corps en mouvement révélés : des études ethno-graphiques internationales de la danse dans les rituels

par Ann R. David (Royaume-Uni), Sinibaldo De Rosa (Royaume-Uni), Wayland Quintero (Hawaii, États-Unis), Chi-Fang Chao (Royaume-Uni), Csilla Könczei (Roumanie)

Ces communications basées sur l’analyse du mouvement mêlant l’anthropologie et l’ethno-chorégraphie traiteront du recours à la danse dans les formes rituelles pour en modifier la perception et mettre à jour ce qui reste invisible et non-dit, ce qui a trait aux dimensions non verbales et intériorisées de l’espace, du temps, de l’énergie et des émotions dans les profondeurs de l’inconscient. Ce panel abordera des exemples internationaux venus de Roumanie, du Bhoutan, des Philippines, de Turquie et de Taïwan, en s’appuyant sur des données empiriques issues du terrain.

Le visible et l’invisible : la performance rituelle complexe de la danse Cham tibétaine au Bhoutan

par Ann R. David (Royaume-Uni)

Cette communication se penchera sur deux aspects clés de la danse dans la région himalayenne du Bhoutan : ce qui est montré au public (la multitude de couleurs, le bruit, l’intensité et la théâtralité) et ce qui lui est caché (le rituel préparatoire secret de la méditation qui se déroule en amont, à l’abri des regards). Dansées principalement par des moines et quelques officiants laïcs, les séquences dansées tiennent plus du rituel que du divertissement. Les danseurs incarnent des représentations du pouvoir en action, mais également de nombreuses divinités : pour cela, il est nécessaire de se saisir de l’esprit de la divinité en question, et de se concentrer sur elle. La préparation préalable permet ainsi de rentrer dans cet état de concentration totale et intense. J’examinerai ces deux aspects qui garantissent l’efficacité du rituel, en m’interrogeant sur la question des mondes invisibles convoqués dans ces pratiques et quel en est l’effet sur les praticiens et le public réceptif.

Le dâr : verticalité, réduction de l’espace de mouvement et alignement du corps sur l’axe vertical dans les rituels Alevi

par Sinibaldo De Rosa (Royaume-Uni)

Pendant les rituels ayn-i cem, les fidèles Alevi réduisent souvent leur zone de mouvement pour effectuer une série de postures appelées dâr. En tant que formes de « scellement » corporel (mühürleme), ces postures matérialisent un sentiment de retrait du monde et une volonté de se livrer totalement au cheminement Alevi. À l’origine dérivé du terme perse signifiant le bois, ce mot est utilisé comme une synecdoque désignant l’échafaud, soulignant ainsi la persécution injuste et le sacrifice pour l’exemple de figures vénérées dans l’Islam. Le terme s’emploie aussi pour indiquer l’axe central de l’espace rituel, et trouve alors un écho dans les corps en quête de verticalité, ce qui les emmène vers une giration coordonnée du groupe (semahs). Dans cette communication, je détaillerai ces postures et proposerai une réflexion sur la manière dont la réduction de la zone de mouvement (kinésphère) et la recherche de la verticalité peuvent favoriser l’incarnation de certaines qualités rituelles. J’évoquerai certaines de leurs représentations récentes sur scène, tout en abordant certains exemples classiques dans le répertoire moderne qui ont été inspirés de ces mouvements corporels effectués dans les rituels de groupes religieux marginalisés.

Est-ce que les ancêtres sentent également l’odeur du sang ? Inviter les esprits à danser

par Wayland Quintero (États-Unis)

Mon travail puise sa source dans les multiples visites que j’ai pu effectuer dans ma région natale de Sagada, dans les hauts plateaux des Philippines du Nord. Le ballangbang est le point d’orgue d’une semaine de rituels festifs liés au cycle de la culture du riz. La danse au rythme des percussions sur des gongs plats tenus par des hommes et des femmes se déploie selon des schémas de mouvement traditionnels, et des déplacements de groupe en sens inverse des aiguilles d’une montre. Le balllangbang se compose de processions menées par des hommes, de prières, de chants sacrés, et de sacrifices d’animaux comme offrandes au royaume invisible. Les stimuli olfactifs font partie intégrante de cette expérience multi sensorielle qui se tisse à travers les actes performatifs des maîtres vénérables du rituel. La croyance traditionnelle veut que les stimuli sensoriels attirent les esprits des ancêtres invités à danser dans une communion rituelle avec les descendants qui font résonner les gongs et dansent ensemble comme un seul corps.

Habiter un corps : les rituels spirituels chrétiens et les danseurs à Taïwan de nos jours

par Chi-Fang Chao (Royaume-Uni)

Cette communication entend examiner les catégorisations ainsi que les diverses interactions entre le corps, l’esprit, et l’âme à l’œuvre dans les rituels chrétiens visant à guérir ces derniers dans le contexte urbain à Taïwan. Pour cela, je me concentrerai sur les danseurs contemporains professionnels et me demanderai comment ces derniers, qui ont acquis dans leurs longues années de formation une certaine maîtrise du corps, peuvent bien percevoir ces pratiques somatiques qui ont lieu hors du lieu prescrit de la scène. Ces vingt ou trente dernières années, la pratique des rituels chrétiens visant à guérir les âmes et les corps a conduit à proposer de nouvelles approches du corps qui invitent les danseurs à redéfinir les techniques par lesquelles ils abordent leur corps dansant. Ces rituels impliquent des processus individuels et sociaux qui transforment la reconnaissance culturelle et l’identification des croyants aux esprits invisibles avec lesquels on ne peut rentrer en contact que via le corps en mouvement. Dans cette communication, j’explorerai le processus dynamique dans lequel les esprits cherchent à habiter le corps et se le disputent : en partant du paradigme de Csordas (1990) sur l’incarnation, je relierai ensuite ces pratiques aux études ethnographiques les plus récentes sur la mondialisation du Pentecôtisme, en particulier dans le contexte contemporain en Asie du Sud-Est.

Le rituel « borica » en Transylvanie (Roumanie) : provoquer la transe et l’extase

par Csilla Könczei (Roumanie)

Mon étude se concentre sur un rituel traditionnel appelé borica, que l’on pratique dans les Trois villages en Transylvanie probablement depuis le Moyen Âge. Une différence intéressante sépare les stratégies corporelles des deux principaux groupes participant au rituel – les jeunes hommes et les silhouettes masquées appelées kuka : alors que les premiers exécutent une chorégraphie rigoureuse et précise, faite de pas coordonnés et de figures complexes dans l’espace, les kukas au contraire évoluent à l’inverse, dans un mouvement que les locaux appellent une « anti-danse ». Mon hypothèse est que ces deux styles opposés mènent à deux modalités différentes d’altération de l’état psychique, que l’on pourrait qualifier de transe ou d’extase. Après une journée entière à répéter ce rituel en hiver, les jeunes parviennent à une forme d’automatisation de leurs gestes. À l’inverse, les kukas, qui ne sont limités par aucune restriction spatiale ou temporelle, accèdent au « paradis des fée ».


12:00 — 30 min.
La danse des « Revenants » du culte d’Egúngún : mise à contribution du corps et des sens à travers les arts du spectacle et les performances religieuses

par Roxane Favier de Coulomb (France)

À Lomé au Togo, et dans les agglomérations frontalières du Ghana et du Bénin, des confréries religieuses rendant un culte à des esprits couramment appelés « Revenants », organisent fréquemment des performances religieuses publiques ayant pour fonction de donner un cadre adapté aux mauvais morts (non ancestralités) et confrères défunts pour exprimer leurs prophéties et divertir la population. Conditionnées à l’effectuation d’un rituel sacrificiel qui se déroule dans le cadre secret d’un « couvent » (emic), ces performances publiques mobilisent des masques intégraux considérés comme des revenants en personne. Esprits vindicatifs avides de communication sensorielle avec les vivants, nous verrons comment leur danse et leur « théâtre » (etic), ainsi que les tambourinaires et intermédiaires humains engagés pour traduire leurs paroles rendent possible cette communication avec un public coproducteur desdites performances, et comment les sens y sont mis à contribution.


12:30 — 30 min.
Du recours au rituel pour vivre et penser la transe émotionnelle dans la danse flamenca

par Anne-Sophie Riegler (France)

Cette communication entend éclairer le sens d’une comparaison fréquente entre la danse flamenca et le rituel, étant entendu que cette danse ne constitue pourtant ni un élément de ce qu’on appellerait stricto sensu un rituel ni un rituel à part entière. Nous privilégierons ici l’étude non des pratiques festives du flamenco, mais celle de ses pratiques scéniques, dans lesquelles la comparaison paraît la moins justifiée. Ainsi nous efforcerons-nous de montrer que cette comparaison pourrait faire sens à la condition d’être mise en rap- port avec un phénomène habituellement considéré comme insaisissable, que ce soit par la pensée ou le geste, et qu’on nomme parfois duende. Nous défendrons l’idée que, à cette condition, le recours au rituel permet d’« évoquer l’indicible » et de « convoquer l’invisible », donc revêt une valeur non seulement épistémique, mais aussi pratique. Il permet à la fois de penser et de vivre la transe émotionnelle dans la danse flamenca.