Depuis un an le CN D accueille et accompagne une résidence d’écriture de la région Île-de-France. Celle-ci permet à l’écrivaine Hélène Giannecchini de s’immerger entièrement dans l’ensemble des activités du CN D (artistes en résidence, cours quotidiens, fonds, spectacles…) afin de nourrir l’écriture de son prochain roman. Accompagnée par les équipes des relations avec les publics et de la médiathèque, cette résidence offre la possibilité à l’auteure d’aller à la rencontre des publics qui parcourent le bâtiment. Un projet de podcast avec les étudiants de l’école des Beaux-Arts de Poitiers est en cours de création, coordonné par la danseuse et chorégraphe Clémence Galliard, la réalisatrice radio Juliette Medevielle et Hélène Giannecchini.
Trois mois au Centre national de la danse
« Voilà bientôt trois mois que je suis en résidence au Centre national de la danse. Malgré la pandémie et les restrictions qu’elle impose, j’ai largement entamé le travail que je veux mener ici. Je m’y suis même engouffrée. Le CN D a été une échappée, un lieu de travail mais aussi un extérieur, un hors-de-chez-soi nécessaire à ma pensée.
Il faudrait faire une liste, nommer tout ce que j’ai vu déjà : un spectacle pour enfants, le travail mené par Lenio Kaklea avec les étudiant.e.s des Beaux-Arts de Paris, un workshop de Christian Rizzo, une répétition de Wanjiru Kamuyu, des danseuses et des danseurs qui s’échauffent, travaillent et disent aussi leurs corps et ce qui s’y déploie. J’ai passé plusieurs heures à la médiathèque, découvrant les archives de spectacles, des monographies, des textes théoriques. Et puis il y a tout ce qui advient à côté, des discussions à l’improviste qui permettent de découvrir un.e chorégraphe déterminant.e pour la suite de mon travail, des échanges furtifs et pourtant décisifs, les images qui m’accompagnent et infusent l’écriture. Le livre commence à venir, il se précise.
J’ai procédé par tâtonnements, j’avais l’intuition que la danse aurait une place centrale dans mon prochain ouvrage, j’imaginais un personnage qui serait un danseur ou une danseuse, je n’étais pas encore très sûre au moment où j’ai composé mon dossier de candidature. Ce moment de flou, ce paradoxe d’être à la fois confrontée à une évidence – je vais écrire sur la danse – et à une forme d’incertitude – quel moment de l’histoire, quelle conception de la danse ? – fonde mon geste d’écriture. C’est là que la recherche commence : face à un territoire bien trop vaste, je dois circonscrire l’espace qui sera le mien. J’ai suivi la piste d’Yvonne Rainer, regardé ses spectacles, lu ses poèmes nouvellement traduits en français, plongé dans l’histoire du Judson Church Theater. J’ai repris les écrits et entretiens d’Anna Halprin, découvrant que, décidemment, la danse et la parole ne cessent de se croiser et de s’informer l’une l’autre, j’ai affiché au-dessus de mon bureau une image de son parquet de danse que j’avais glané à la Dokumenta de Kassel en 2017. Il faut une forme de patience pour qu’une évidence apparaisse, elle affleure souvent à la croisée de plusieurs territoires, quand les signes s’alignent pour pointer dans une même direction.
Mon regard est façonné par l’histoire de l’art contemporain que j’enseigne, ce que je connais de la danse et souvent lié à l’histoire des formes. Au hasard d’un mail envoyé par le centre Georges Pompidou, j’ai ainsi assisté à la projection du film de Marie-Hélène Rebois Good Boy histoire d’un solo. J’y découvre les images puissantes et bouleversantes de la pièce d’Alain Buffard, son travail avec Anna Halprin et son film plein de drôlerie My lunch with Anna, que je vois dès le lendemain à la médiathèque. Tout cela s’entrechoque avec mes recherches récentes sur Dominique Bagouet, le cours que je prépare sur le livre de l’historienne de l’art Elisabeth Lebovici Ce que le sida m’a fait, ma lecture assidue, depuis plusieurs années, d’Hervé Guibert et de Jean-Luc Lagarce, mon goût pour les images de Mark Morrisroe, Nan Goldin, Derek Jarman et, surtout, cela rencontre et ravive une sidération qui ne me quitte pas : celle d’être née au milieu d’une épidémie qui n’a jamais été nommée. Pendant mon enfance et jusqu’à la fin de mon adolescence personne ne prononce le mot “Sida”. Pourtant cette histoire me concerne.
La communauté des danseurs a subi de plein fouet cette épidémie, beaucoup d’artistes sont morts, d’autres ont mis au centre de leur création ces corps terriblement transformés par la maladie, au bord de leur disparition. C’est cela que je voudrais dire.
J’ai écrit que je faisais un livre sur la danse, mais ça n’est pas tout à fait vrai. J’écris avec elle, je la fais entrer dans l’espace romanesque, je l’utilise aussi pour construire un personnage. La précision est importante, il ne faut pas attendre de moi un livre d’historienne ou de spécialiste, mes connaissances sont bien trop parcellaires. Disons que j’incorpore la danse, son vocabulaire, ses gestes, quelques moments de son répertoire. Il me reste encore beaucoup à faire, mais je peux déjà dire cela : dans mon prochain livre l’un des personnages principaux est un danseur. Il sera atteint du Sida. Avec lui se déploient une réflexion la force de subversion de l’amitié et l’histoire d’un silence qu’il faut continuer à combattre.»
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