Parcours d'artistes

Yano, un artiste japonais à Paris

Meilleur livre sur la danse Grand Prix de la critique 2008/2009 - Palmarès danse décerné par le Syndicat professionnel de la critique de théâtre, musique et danse.

Vingt ans après sa mort, le souvenir de YANO Hideyuki (1943-1988) reste très fort dans la mémoire des artistes français qui l’ont connu et ont travaillé avec lui. Mais la question de l’influence qu’il a pu exercer restait jusqu’ici assez peu abordée. À l’aide de nombreux témoignages, l’ouvrage Yano, un artiste japonais à Paris fait resurgir cette figure, en partie effacée et, à la fois mythifiée, qui a occupé une place très particulière au sein de la nouvelle danse française.

Le livre retrace les premières années du jeune artiste à Tokyo, son étrange surgissement à Paris dans le courant des années 70, peu avant la découverte du butô par le public européen. Il évoque la formation de son groupe, «Mâ Danse Rituel Théâtre» et l’élaboration d’une œuvre tout à fait originale, où se croisent de façon inédite l’Orient et l’Occident. Du désormais légendaire Hana Cristal-Fleur (1979) au Puits de l’épervier (1983) et à la trilogie de Salomé(1985-86), s’affirme ainsi le parcours d’un artiste revendiquant sa propre tradition, essentiellement celle du nô, mais portant en lui une connaissance rare de la culture occidentale. Ce va-et-vient poétique entre spiritualité, sacré et conscience contemporaine, explique aussi pourquoi son enseignement a marqué si durablement plusieurs générations de danseurs, parmi lesquels Elsa Wolliaston, Lila Greene, Sidonie Rochon, François Verret, Mark Tompkins, Karine Saporta.

Principalement illustré par les images d’Anne Nordmann, photographe qui accompagna le chorégraphe tout au long de son parcours, Yano, un artiste japonais à Paris contient également des documents inédits, textes et croquis extraits des archives personnelles de l’artiste.



Extraits du livre

Mon premier souvenir de Yano est celui d’un danseur délicat à la chair pâle et aux gestes de porcelaine enveloppant de sa danse furtive Elsa Wolliaston, vivante statue d’ombre figée à l’avant de la scène. C’était à Paris au Théâtre de la Cité internationale universitaire, boulevard Jourdan, probablement en 1975, un jour où j’étais venue voir Elsa, dont j’étais alors l’élève. Cet après-midi là, tous deux répétaient ce qui devait devenir Rivière Sumida. Passablement désorientée, je ne vis de Yano que l’étrange Japonais qui tournait autour d’Elsa.

(…) Yano, lui, avait eu le temps, dans la deuxième partie de la décennie 1970, de former le groupe Mâ et de le voir se dissoudre. C’est, en effet, entre 1976 et 1980, années étincelantes et fragiles, que Mâ produisit ses pièces les plus magiques, celles qui devaient devenir d’autant plus mythiques qu’elles furent en réalité peu vues : ce qu’on connut d’abord de lui fut le fameux duo avec Elsa, Rivière Sumida-Folie, puis Flux-sape, Géo-chorégraphie, et surtout Hana Cristal-Fleur en 1979, dont la reprise en 1980 marqua la fin du groupe. Comme il n’avait pas craint d’aller chercher, outre la reine Elsa, des gens aussi divers que Lila Greene, Sidonie Rochon, François Verret et Mark Tompkins, il paya ainsi le prix de son intrépidité. L’époque était à la création collective et le seul point commun à toutes ces fortes têtes était leur esprit d’indépendance. Ceci expliquant cela, le groupe se dissocia.

(…) Il m’a semblé que le long chemin vers Yano ne pouvait qu’être intuitif et devait d’abord passer par le regard de ceux, japonais et français, qui l’ont connu. En exprimant, chacun à leur façon, ce que fut pour eux «le vrai Yano», ils contribuent, presque à leur insu, à reconstruire le personnage dans ses contradictions et dans ses mystères. À partir de ce que j’ai appelé l’«impossible portrait», il m’a fallu remonter vers l’amont et revenir, autant que faire se peut, sur les racines culturelles de ce jeune garçon des années 1960 tôt attiré par l’Occident, à la fois si singulier et pourtant représentatif de sa génération.

(…) Le reste –récit des années japonaises, de l’arrivée à Paris, de la formation du groupe Mâ, de la reconnaissance progressive et du passage vers une danse de plus en plus cultivée mêlant de manière inédite modernité et tradition, Orient et Occident –s’enchaîne dès lors selon une logique naturelle. Celle de la fusion intime entre l’art et la vie. Ce qui va suivre est donc le récit d’une vie brève, étincelante, fracassée. La vie d’un artiste. Presque une fiction.

(…)

«Il y avait cette façon de danser que je ne connaissais pas, et que je cherche toujours, aujourd’hui encore.» Bernadette Bonis. Critique de danse et l’une des premières spectatrices de Yano, devenue au fil des ans amie personnelle du chorégraphe.

«Il avait une grâce incroyable. Il avait aussi le savoir-écouter. Une sorte de curiosité enfantine extrême.» François Verret. Danseur et chorégraphe, membre du groupe Mâ.

«Je pense que Yano a touché chacun d’entre nous très profondément, d’une manière inexplicable. Il est resté pour moi une énigme.» Mark Tompkins. Danseur et chorégraphe, un temps membre du groupe Mâ.

«Il y avait entre nous une harmonie, une intimité que je n’ai jamais trouvée ailleurs. La culture japonaise, comme l’africaine, accorde une grande importance à la mort. J’ai le sentiment d’avoir été avec lui dans la même intuition.» Elsa Wolliaston. Danseuse et chorégraphe, premier membre fondateur du groupe Mâ.

«Ce qu’il cherchait peut-être à atteindre c’était le dépassement des différences, la fusion des quatre continents. Une sorte de neutralité culturelle, en quelque sorte.» Sidonie Rochon. Danseuse et chorégraphe, membre fondateur du groupe Mâ.

«Regarde un paysage, imprègne-toi de lui, rentre chez toi et peins-le de mémoire, disent les Chinois. C’est une façon très particulière d’absorber la nature, au plus profond. On ne refait jamais le trait, il n’y a pas de geste gratuit, tout est essentiel. L’intérieur et l’extérieur sont comme des vases communicants. Le travail de Yano était comme ça.» Lila Greene. Danseuse et chorégraphe, membre fondateur du groupe Mâ.

«Yano, c’était noir et blanc. Il pouvait être capable de cruauté.» Isabelle Famchon. Dramaturge.

«Yano c’était la douceur, mais c’était aussi un volcan, un peu comme ces volcans japonais soit disant éteints, mais qui bouillonnent à l’intérieur.» Tamia. Chanteuse.