Rencontre

Colloque Alain Buffard
journée 2

Histoires parallèles

07.10.17 — 14:00

CN D Pantin

« Dessiner un voyage chez l’autre depuis l’autre» : c’est ainsi qu’Alain Buffard décrivait l’exposition qu’il avait organisée à la galerie d’ethnographie du Muséum d’histoire naturelle de la ville de Nîmes, en avril 2013, qui s’intitulait Histoires parallèles, pays mêlés. En reprenant – en partie – ce titre, pour rassembler sous son égide les interventions de la journée du 7 octobre, il s’agit, de la même façon, d’explorer « les distorsions produites entre le récit officiel et les narrations particulières, celles qui sont ainsi laissées à la marge du récit national2 » auxquelles l’exposition d’Alain Buffard fut l’une des premières, dans une France frileuse, à donner des figures, c’est-à-dire à faire cas.
Dans cette journée, on aborde la dimension « duographique » du lien entre Alain Ménil, philosophe, enseignant, critique de théâtre, et son compagnon Alain Buffard. Les écrits du premier, notamment Les Voies de la créolisation (2011), se retrouvent dans les matériaux de travail du second comme dans les interventions de la journée (celle de Pierre Lauret en particulier). Des pièces d’Alain Buffard sont offertes à l’analyse, telles Les Inconsolés (dont Frédéric Pouillaude fait son objet d’étude), ou Tout va bien et Baron Samedi et leurs processus de dénaturalisation (qu’étudie Anne Pellus). On revient sur le projet d’Alain Buffard de « faire bouger un corps » vu comme non-blanc et non-hégémonique, et l’amener doucement vers la forme (Zahia Rahmani). Et puisque, comme le propose son titre, la journée ne peut se contenter d’une seule ligne continue, une diffraction invite d’emblée à ricocher à partir de Ripostes – une pièce de 1981 de Marie-Christine Gheorghiu, coécrite avec Alain Buffard – et à se demander ce qui, dans une œuvre « de jeunesse », rompt et se poursuit (Mélanie Papin).
Les histoires parallèles mettent ainsi en circulation un monde de valeurs et de pratiques alternatives dont l’existence a été escamotée par les « constructions hégémoniques des systèmes sociaux » – ces constructions qui « vantent soit la supériorité politique de l’homme blanc, soit la cohérence et l’unité de la personne, soit encore le caractère naturel de la monogamie hétérosexuelle, soit enfin l’inéluctabilité du progrès scientifique et du développement économique3 ». En réactualisant, le temps d’un colloque, cette expression d’« histoires parallèles » et en la réassignant aux travaux mêmes d’Alain Buffard, on entend faire émerger des processus de travail qui font non seulement se multiplier les récits, mais aussi les sujets, et qui insistent, comme l’avait voulu l’exposition du chorégraphe, sur le fait que les histoires s’écrivent à partir de perspectives et de points de vue fondamentalement différents, non équivalents ou plutôt, pour le dire comme l’universitaire Homi Bhabha, « incommensurables4 ».

Élisabeth Lebovici
Référente de la journée
Historienne de l’art et critique d’art

1 http://www.alainbuffard.eu/fr/autres-projets/histoires-paralleles.html
2 Joan Scott, Théorie critique de l’histoire I., Paris, Fayard, 2009.
3 Idem
4 Homi K Bhabha, Les Lieux de la culture. Une théorie postcoloniale (1994), Paris, Payot, 2007.

 

 

14:00-14:15
Studio 6
Bernard Blistène
, directeur du Musée national d’art moderne / Centre Pompidou

 

14:15-14:50
Studio 6

« Buffard avant Buffard »
par Mélanie Papin
Chercheuse à l’école doctorale EDESTA, université Paris-8

En 1980, alors tout jeune danseur, Alain Buffard démarrait une collaboration avec la chorégraphe Marie-Christine Gheorghiu. Le duo qu’ils proposent, Riposte inaugure l’esthétique nerveuse et punk qui compose une partie de l’esprit de la Nouvelle danse française des années 1980. Mais, fruit d’une longue recherche en improvisation qui aboutit à la mise en espace épurée de deux corps denses dialoguant avec intensité, oscillant, chutant ou se cabrant, Riposte apparaît plus profonde que l’illustration du mouvement dont Alain Buffard se détache radicalement pour créer son œuvre. Sur des musiques des scènes underground américaine et berlinoise, sous-tendu par la New Dance américaine que Marie-Christine Gheorghiu a découverte lors de ses voyages, il nous semble, en effet que cet échange de matières, d’affects et de corporalités à la fois trouble et engagé – met en lumière les potentialités non seulement d’interprète mais aussi d’artiste d’avant-garde qu’Alain Buffard va déployer par la suite.
Avec quels aspects Alain Buffard a-t-il rompu ? Mais aussi qu’est-ce qui demeure dans son œuvre ? Mélanie Papin propose de revenir sur ce moment, non pas fondateur, mais qui permet peut-être de regarder le parcours d’Alain Buffard sous un jour plus méconnu.

Mélanie Papin achève actuellement sa thèse consacrée à l’émergence de la danse contemporaine en France dans les années 1970. Elle est dirigée par Isabelle Launay au sein de l’équipe de recherche musidanse, attachée à l'école doctorale EDESTA de l'Université Paris 8. En 2011, elle fonde aux côtés de Sylviane Pagès et Guillaume Sintès le Groupe de recherche : histoire contemporaine du champ chorégraphique en France qui mène divers projets dont la publication d’un ouvrage consacré à Mai 68 et la danse (Danser en Mai 68, premiers éléments, Micadanses/université Paris-8, 2014). Récemment, elle a obtenu une aide à la recherche et au patrimoine du CN D pour son projet « L’atelier de Christine Gérard ou l’improvisation comme technique et poétique de l’agir ».

 

14:50-15:30
Studio 6
« Les Inconsolés ou la noirceur lyrique du désir » 
par Frédéric Pouillaude
Maître de conférences en philosophie à l’Université Paris-Sorbonne.

La sexualité des Inconsolés n’est ni solaire, ni rayonnante, ni épanouie. Elle est blessante, elle est blessée. Elle ignore la frontière entre séduction et prédation, entre caresses et coups, entre jeu et humiliation. Comme celle des enfants et des monstres, elle semble être par-delà bien et mal. Pourtant elle n’ignore rien de la honte. Elle recherche désespérément une égalité des positions et des rôles, mais elle ne bande que pour l’asymétrie des relations. Elle est impossible, elle est chacun d’entre nous. De cette noirceur sexuelle, Buffard a tiré le plus beau des chants.

 

16:00-16:45
Studio 14

« Politiques de l’esthétique chez Alain Buffard : transdisciplinarité, queerisation et créolisation dans Tout va bien et Baron Samedi »
par Anne Pellus
Maîtresse de conférences en Arts du spectacle, LLA CREATIS, université de Toulouse 2 Jean Jaurès

En quoi l’hybridation entre les arts, les genres et les pratiques échappe-t-elle chez Alain Buffard à la normalisation et au formalisme en dépit de la prolifération des pratiques mélangistes sur les scènes contemporaines ? Œuvres transdisciplinaires et expérimentales, Tout va bien et Baron Samedi posent à nouveaux frais le paradigme de l’identité dans une relation étroite et dynamique avec une intention politique s’attachant à défaire les figements naturalisants des identités hégémoniques.

Anne Pellus est maîtresse de conférences en Arts du Spectacle à l’université de Toulouse 2 Jean Jaurès (LLA CREATIS). Son travail de recherche s’intéresse aux processus d’hybridation expérimentés ces dernières années dans la danse contemporaine française et à leur possible portée politique. Elle est l’auteure d’une thèse intitulée Politiques de l’hybride dans la danse contemporaine française : formes, discours, pratiques, ainsi que de plusieurs articles consacrés au travail des chorégraphes Jérôme Bel, Alain Buffard, Héla Fattoumi, Éric Lamoureux, Maguy Marin, Hooman Sharifi et Patricia Ferrara.

 

16:45-17:30
Studio 14

« Le chevalier désenraciné. Alain Ménil, du sida à la créolisation »
par Pierre Lauret
Philosophe

Philosophe, professeur à Paris, directeur de programme au Collège international de philosophie, Pierre Lauret a collaboré aux revues OutreScène (Théâtre national de Strasbourg) et LEXI/textes (Théâtre national de la Colline), et coordonné le dossier Théâtre et philosophie des Cahiers philosophiques (avril 2008). Pierre Lauret est membre du collectif La Générale Nord-Est.

Alain Ménil, philosophe et dandy de grande apparence et de haute culture, fut pendant les vingt-deux dernières années de sa vie le compagnon d’Alain Buffard. Vivant avec le VIH et le sida, il publia Sain(t)s et saufs, une réflexion anthropologique, morale et polémique sur cette épidémie d’un genre nouveau. Perdant ses deux parents en 2002, il fit retour vers ses origines antillaises et métisses, et approfondit dans un livre important Les voies de la créolisation selon Edouard Glissant. Deux moments dans une vie où, refusant férocement toute assignation, il montra l’importance décisive du pas de côté pour se désenraciner tout en restant activement solidaire. Souvenirs d’une vie philosophique, entrelacée charnellement, politiquement et artistiquement à celle d’Alain Buffard, de Good Boy à Baron Samedi.

 

17:45-18:30
Studio 6

« Entre formalisme et post-colonialisme »
par Zahia Rahmani
Auteur et responsable du domaine de recherche, Arts et architecture dans la mondialisation à l’Institut national d’histoire de l’art

Écrivain et historienne d'art de formation, Zahia Rahmani est responsable à l’Institut national d’histoire de l’art du domaine de recherche, Arts et architecture dans la mondialisation, depuis sa création en 2004. De 1999 à 2003, elle créé et dirige le Research Program, post-diplôme de l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris, sous la direction d’Alfred Pacquement. Elle a travaillé à la Villa Arson/École nationale d’art de Nice, à la Galerie nationale du Jeu de Paume et à la Leo Castelli Gallery, à New-York. En 2012, elle met en place à l’INHA un programme dédié à la cartographie et la captation coloniale, « Made in Algeria ». En 2015, elle inaugure avec un collectif de chercheurs et commissaires d’expositions, le programme « Observatory : Global Art Prospective ». Elle est l’auteur d’une trilogie consacrée à des figures contemporaines « d’hommes bannis ». Un travail littéraire sur des figures impensées de la théorie postcoloniale. Moze (2003, SW p. 2016), Musulman roman (2005,  SW p. 2015) et France récit d’une enfance (2006, Livre de p.2008) aux éditions Sabine Wespieser.  Elle a notamment publié « Le Harki comme spectre ou l’Ecriture du déterrement », in Retours du colonial ? Disculpation et réhabilitation de l’histoire coloniale (2008, éd. Atalante) et « Le Moderne comme point d'arrivée sans fin », in Qu'est-ce que le contemporain (2010, éd. Cécile Defaut.