10.03.18 — 23:00
CN D Pantin
Kill the DJ est officiellement un label parisien fondé en 2002, qui a commencé par éditer de la musique de club avant de s’élargir assez vite à d’autres genres comme la folk, le rock synthétique ou la noise baroque (!). Officieusement, c’est surtout un collectif informel d’action culturelle animé par l’équipe du club lesbien le Pulp, fermé depuis 2007, mais dont l’esprit ne s’est lui jamais éteint. Si KTDJ publie donc des disques, c’est avant tout pour accompagner un projet d’éducation populaire et de libération du corps et des âmes. Structure queer par (contre-)nature, elle cherche à faire danser au-delà des clubs, à donner à réfléchir au-delà des universités et à offrir de la beauté hors des galeries. Quand le CN D a convié Fany Corral et Stéphanie Fichard, les deux femmes qui mènent KTDJ, à organiser des soirées dans ses locaux, leur réponse a été aussitôt enthousiaste. En 2017,dans une ambiance à la fois intense et détendue, mixte et engagée, plus de mille personnes ont par trois fois dansé jusqu’à l’aube dans l’Atrium du bâtiment brutaliste qui héberge le centre. Aux habitués des soirées du label se sont mêlés des riverains en goguette et des danseurs fréquentant le CN D. L’expérience s’est révélée être une telle réussite qu’elle va être reconduite cette année, toujours dans le même format : entrée gratuite, tarifs abordables au bar, DJ locaux surimpliqués, et toujours cette belle baie vitrée et cette terrasse qui font respirer la fête.
Fany Coral et Stéphanie Fichard, du label Kill The DJ, résident au CN D, évoquent pour nous leur expérience passée et future avec le CN D.
« Après avoir passé de longues années à organiser des fêtes au Pulp puis, avec notre structure Kill The DJ, dans le circuit plus général du clubbing électro, avec ses codes, ses habitudes, ses cadres, on a trouvé au CN D un vrai sentiment de fraîcheur, quelque chose de libre, de décontracté, de spontané. Quand on nous a proposé de faire des soirées, on ne savait pas forcément ce que ça allait donner, le Centre avait très peu organisé de fête avec des DJ, c’était un espace vierge dans ce domaine-là et l’idée de nous l’accaparer, en quelque sorte, nous faisait très envie. On s’est dit que ce serait forcément amusant de tenter le coup.
Dès la première fois, on a tout de suite aimé la mixité du public, ça nous a touchés, c’est un truc primordial pour nous dans notre démarche. On a croisé pas mal de gens d’un certain âge, pas mal de jeunes aussi, des riverains venus un peu par hasard sans forcément connaître le genre de musique qui passait… Assez mélangé socialement et sexuellement aussi. Et puis assez logiquement, on a vu beaucoup de danseurs qui entraient dans l’atrium du Centre et allaient directement sur la piste, pour faire des battles et danser autour des enceintes, sans s’intéresser au DJ, sans le regarder. C’est vraiment des gens qui viennent pour ça, ce qui n’arrive presque jamais dans des clubs classiques. Et puis la soirée commençait alors qu’il y avait encore des performances dans le hall du Centre, ça a créé quelque chose de singulier, ça envoyait clairement autre chose, dans l’atmosphère et dans l’esprit. Ne serait-ce que dans la configuration des lieux, puisque c’est très grand tout en étant pas fait pour accueillir ce genre de soirées. Mais c’est génial de voir qu’on a pu faire rentrer 1400 personnes sans jamais avoir l’impression d’être les uns sur les autres !
L’espace est libre, il n’y a pas de physio, tout le monde peut rentrer tant que la jauge n’est pas dépassée. Il y a beaucoup plus de lumière que dans les boîtes, c’est éclairé de façon fonctionnelle et il y a ces escaliers de toutes les couleurs, c’est une coïncidence mais ça nous a tout de suite fait penser à l’arc-en-ciel LGBTQ, évidemment ! On peut aller dans plein de petits espaces différents, les gens peuvent se retrouver au calme dans des coins, ils peuvent s’asseoir ici et là, il y a la terrasse évidemment, qui est un vrai luxe ! Donc c’est certain que ça change de ce qu’on a eu l’habitude de faire au Pulp ou ailleurs dans des clubs à Paris ou dans d’autres villes. Tout cela fait qu’on n’a pas l’impression d’être dans une discothèque, ni dans une rave organisée dans un hangar – on dirait un peu qu’on danse dans un musée, en fait !
Et puis c’est gratuit, c’est un lieu public, de culture publique en fait ! C’est quand même le rôle principal de ce genre de lieu de donner accès gratuitement à ce type de culture. Et on dirait que ça incite les gens à venir dans un bon esprit général, à respecter les lieux et les règles qui le rendent possible. Par exemple, il y avait une barrière en haut d’un escalier, pour éviter que des gens aillent se balader dans les bureaux : en temps normal, dans un endroit privé, on aurait probablement vu des petits malins essayer de pousser la barrière, de forcer, de mettre un peu la zone, en gros. Là, la barrière n’a pas bougé, personne n’a dû juger utile de « transgresser » l’interdiction.
Avec le Pulp et KTDJ, on a toujours eu un pied dans le monde de la danse. Certains habitués du Pulp étaient eux-mêmes danseurs ou collaboraient avec des danseurs. On a aussi beaucoup travaillé, au sein du label, avec la productrice Fanny Virelizier, et Chloé Thévenin, une des nos artistes, a composé plusieurs musiques de ballet. On a récemment fait se rencontrer notre dernière signature, Noise Consort, et le chorégraphe Vincent Thomasset lors du Festival d’Automne. Depuis quelques années on s’intéresse aussi au voguing et au whacking, des danses queer afro-américaines. On a organisé quelques ateliers et on s’est retrouvés à faire danser des retraités : on a vu des participants se lâcher littéralement, et peu importe que ça danse plus ou moins bien, on se fiche du ridicule dans ces cas-là.
Et donc au CN D, on a remarqué que les danseurs là aussi se libéraient davantage que dans un espace plus standardisé. On est ravis de permettre de replacer la danse et le corps au centre du club et de la musique, de se décoincer, de s’affranchir, ça rend beau, c’est jouissif, c’est sain ! Et puis c’est un mouvement collectif et physique, et ça change du côté un peu trop solitaire et mental qu’on voit dominer les soirées par ailleurs. Les DJ qu’on a fait jouer, notamment Sundae et Kiddy Smile, ont trouvé l’expérience très excitante : le fait d’évoluer hors d’un espace cadré et d’un circuit de clubbing balisé les a motivés. Les platines étaient installées au milieu de la salle, donc au milieu des danseurs : ça donne une autre dynamique à la fête et à leur rôle de DJ.
L’autre avantage, c’est que la configuration, le budget limité, la gratuité, le fait que ce soit un peu excentré tout en étant intégré à un quartier encore mal connu, tout ça donne au projet une sorte de modestie qui nous rend service, en fait. On peut booker des artistes très peu connus, qui ne vont pas faire venir les gens en masse mais que le public va avoir le temps de découvrir et d’apprécier, et ça marche. C’est aussi un lieu de sociabilité, où on peut discuter, boire un verre, passer en vitesse sans avoir la pression… En tout cas c’est pour nous une vraie aubaine et on espère poursuivre cette association aussi longtemps que possible ! »
Entretien réalisé par Etienne Menu, en décembre 2017.
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