29.09.23 — 20:00
Ciné 104
Les Jeux d’Hitler, Berlin 1936
Jérôme Prieur (2016)
avec la voix de Denis Podalydès
En regardant les images tournées il y a juste quatre-vingts ans lors des Jeux olympiques de 1936, on en oublierait presque qu’elles ont été filmées en plein cœur de l’Allemagne nazie. Le triomphe de Jesse Owens qui remporte à Berlin quatre médailles d’or (au 100 mètres, au 200 mètres, au 4x100 mètres et au saut en longueur) semble consacrer encore aujourd’hui la victoire du sport et de l’idéal olympique, comme si le jeune athlète noir américain avait été notre champion, et qu’il était parvenu, sportivement, à vaincre le monstre nazi. L’exploit magnifique de Jesse Owens est incontestable, mais cette belle histoire à laquelle nous voudrions croire, n’est qu’un arrangement avec la réalité des choses, une fiction dans laquelle le sport a été un alibi.
Le film de Jérôme Prieur raconte en détail cette gigantesque opération de propagande commencée dès 1933. Pour la première fois, uniquement à l’aide d’actualités officielles, d’images extraites d’Olympia de Leni Riefenstahl et aussi de nombreux films amateurs inédits, ainsi voit-on la préparation, l’orchestration et la mise en scène d’un spectacle qui fut bien moins sportif que politique, et les Jeux de 1936, un jeu avec les apparences.
Olympia : Les Jeux olympiques de Berlin, 2e partie
Leni Riefenstahl (1938)
Document historique présenté par Laure Guilbert, historienne, chercheuse invitée à l’Institut Max Planck de Berlin
Été 1936, les Jeux olympiques de Berlin vont offrir au monde l’image d’une Allemagne sportive, pacifique, régénérée. Le cinéma constitue un instrument de propagande majeure pour le régime nazi ; Adolf Hitler qui a compris le profit qu’il pourrait tirer des deux semaines de compétition en s’affichant comme un apôtre de la paix, confie à Leni Riefenstahl, qui a déjà tourné pour le régime, un nouveau film qui doit matérialiser, conserver et diffuser la réussite olympique. Disposant d’un budget colossal, la réalisatrice mobilise une équipe de plus de 300 personnes (dont 40 cameramen), met au point des techniques inédites, expéri-mente de nouveaux angles et prises de vue, tandis que la capitale du Reich est transformée en une splendide vitrine du national-socialisme. Le film est projeté le 20 avril 1938, le jour de l’anniversaire de Hitler, à l’UFA-Palast am Zoo à Berlin. Accueilli triomphalement, le film reçoit en août de la même année le Lion d’or à la Mostra de Venise.
Dans les années 1960, cette œuvre de propagande est réévaluée pour ses qualités techniques et esthétiques ; par ses innovations et ses présentations des performances des athlètes, le film est considéré comme un documentaire précurseur des retransmissions télévisées actuelles. Dans Les Jeux olympiques. D’Athènes à Athènes – 1896-2004 (2003), Olivier Joyard en analyse rigoureusement le propos et la démarche : « Les images du film, aussi plastiquement parfaites soient-elles, sont autre chose qu’un simple support de propagande à effet immédiat : quelque chose de plus pernicieux. Elles montrent, avec un pouvoir de séduction intemporel, l’être humain comme une forme pure, défini par ses seules attitudes et ses attributs identitaires, et non par sa capacité à exister comme individu. L’eugénisme est le fond, détestable, des Dieux du stade. Le sport y est considéré comme une danse virtuose autour de laquelle se construit un rituel collectif d’adoration. Autant dire un simple instrument au service d’une idée de l’homme et de la société dont on connaît les effroyables dégâts ».
Ce document historique, qui marqua l’émergence du documentaire sportif, fut aussi l’un des films de commande les plus célèbres du régime nazi. Sa projection réouvre la question du film comme archive et de sa lisibilité.